les boites des bouquiniste sur les quais

Les bouquinistes sont en Danger!

Le bouquiniste Chonmoru, quai des Grands-Augustins. Paris (VIème arr.), vers 1900. Photographie de Louis Vert (1865-1924). Paris, musée Carnavalet.

Les bouquinistes ont surmonté de nombreux obstacles. On a voulu les interdire, les déplacer, les écraser. Ils ont résisté aux tentatives de régulation du mazarin, à la folie destructrice de Haussmann, à la colère de la Seine, mais survivront-ils aux Jeux olympiques de 2024 ? 

La question est réelle et d’actualité. En effet, les bouquinistes viennent d’apprendre que pour des raisons de sécurité, ils ne pourront pas travailler pendant la durée des Jeux olympiques. Pire ! Le préfet a ordonné que leurs boites soient démontées ! 

Si celui-ci ne revient pas sur sa décision, c’est les rives de la Seine nues que la France se présentera au monde…

Je me suis donc interrogée : depuis quand n’était-ce pas arrivé?  Voici quelques éléments de réponses. 

Retour sur les origines des bouquinistes

Tout d’abord un peu de vocabulaire: on parle de bouquiniste depuis les années 1750. Il a pour origine « boekin », un mot d’origine flamande qui signifie « petit livre », et se transforme en « bouquin » vers la fin du 16e siècle.

Le pont neuf est construit au début du 17ème siècle. Il devient le pouls de la capitale.  Des commerçants en tout genre s’y installent. Certains ont le droit d’installer des tréteaux d’autres n’ont pas le droit de rester immobiles. De nombreux vendeurs ambulants proposent les marchandises qu’ils portent dans des petites boites dans leur dos à la vente. Parmi eux des vendeurs de livres et de pamphlets ou gazettes à sensation. Malgré une ordonnance en 1649, qui interdit les étalages de livres aux abords du Pont neuf, prise sous la pression des libraires, la pratique s’étend. On les trouve quai des Grands-Augustins, incluant celui de Conti, pour la rive gauche et quais de Gesvres et de la Mégisserie pour la rive droite. Une seconde, en 1721, les menace de prison. Sans succès puisque ces vendeurs profitent des nouveaux quais construits en bordure de Seine. Il se déplace à chaque nouvelle interdiction et rencontre le succès auprès du public. Ils sont près de 300 quand éclate la révolution.



 

Les bouquinistes sont là pour rester

Au début du 19ème siècle les libraires et les bouquinistes ne se disputent plus. La professionnalisation du métier contribue à cette entente cordiale. 

Les quais sont alors pour la plupart maçonnés et les bouquinistes sont définis et reconnus par l’administration qui les assimile aux commerçants publics de la Ville de Paris. Le 10 octobre 1859 est édicté le premier règlement spécifique aux bouquinistes. Cependant, il ne leur est pas encore permis de laisser la marchandise sur le lieu de vente la nuit. Ils doivent remiser chaque soir leurs livres.

 

Néanmoins, la menace va venir d’une autre direction :  un projet de grande transformation de la capitale. Le baron Haussmann souhaite les expulser, notamment pour rendre aux quais la pureté de leurs lignes. C’était oublier que, si un parisien accepterait un quai sans l’ombre des arbres, il ne le souhaiterait en aucun cas sans bouquinistes !

Les bouquinistes se rebellent et font intervenir Paul Lacroix auprès de l’Empereur. Leur émissaire a pour mission de les défendre auprès de Napoléon III et du préfet de Paris.

C’est un succès. Les bouquinistes peuvent rester! Les parisiens sont libres de profiter de cette vaste librairie en plein air.

 Les boîtes actuelles sont officialisées en 1891, lorsqu’un arrêté municipal autorise les bouquinistes à laisser leur marchandise la nuit sur le lieu de vente qui leur est concédé Ils peuvent alors exploiter 10 mètres de quai. Jusque-là, les livres étaient proposés dans de petites caisses en bois manipulables facilement.

Le 27 janvier 1943, un décret du préfet de la Seine ramène la longueur d’exploitation des quais à 8 mètres

La Crue de la seine de 1910

les boites des bouquiniste sur les quais

Les bouquiniste ont déjà faillit tout perdre en 1910 en raison de la crue de la Seine qui a plongé la ville dans une crise sans précédent et leur boite dans l’eau. Les dégâts subis sont en effet considérables :

« Les bouquinistes ont souffert à double titre : dans leur commerce, paralysé à la suite des barrages, des effondrements et de l’envahissement des quais par les eaux ; dans leurs resserres, situées dans des caves ou même sous des baraquements, au fond des cours, des ruelles qui avoisinent les bords du fleuve.

Depuis la baisse des eaux, les pauvres gens emploient leur temps à sortir des masses de bouillie informe, qui représentent leur fortune d’hier, et à y pêcher quelque livre encore vendable. Pour beaucoup, c’est la ruine. « 

Grâce à une immense mobilisation citoyenne, la plupart des bouquinistes échapperont à la ruine. Leur vie ne deviendra pas pour autant un long fleuve tranquille car ils sont régulièrement victimes d’agressions et de cambriolages.

les bouquinistes à l'UNESCO

Depuis 1991, les bouquinistes étaient, à tort, associés à l’inscription des Rives de la Seine au patrimoine mondial de l’Unesco. En 2019, Jerôme Calais, président de l’Association culturelle des bouquinistes de Paris, lui-même bouquiniste passionné, lance une campagne qui permet aux « traditions et savoir-faire des bouquinistes des quais » de faire leur entrée au Patrimoine culturel immatériel français (PCI).


Quelques anecdotes

Les anecdotes sur les bouquinistes ne manquent pas. J’en rassemble ici quelques-unes :

Saviez-vous que cela coute cher de tomber amoureux entre bouquinistes?  Certains ont expérimenté cette difficile réalité. Plusieurs se sont aimés dans la clandestinité. Mais pourquoi me demanderez-vous ? Non, il ne s’agissait pas de jeux amoureux, mais d’une dure réalité. Pendant de très longues années, les boites étaient allouées par ménage. Se marier signifiait pour les amoureux perdre la moitié de leurs revenus. Autant dire que la Seine a connu de nombreux cœurs brisés. Heureusement, une nouvelle règlementation, promulguée en 1993, autorisa la propriété de plusieurs boîtes par couples.

Saviez-vous que les bouquinistes ont donné son nom au passage-vérité Trait d’union entre la rue des Bons-Enfants et la place de Valois?  L’arcade créée au XVIII est rendue publique en 1799, afin que les Parisiens puissent  déambuler du Châtelet aux Jardins du Palais Royal. L’abri discret est alors rapidement occupé par des échoppes de marchands d’estampes, de bouquinistes et de vendeurs de gazettes.

 

 

Pourtant, à cette époque, de nombreux Parisiens sont illettrés et leur manque de culture laisse planer une croyance selon laquelle seuls les écrits ne mentent pas. Il n’en faut pas moins pour que le petit passage truffé de bouquins et de journaux se transforme en lieu où l’on peut, paraît-il, trouver une réponse véridique à toutes les questions que l’on se pose. C’est de là que vient son nom, « Passage de la Vérité », qui sera plus tard écourté pour devenir « Passage Vérité !



Conclusion

Vous l’aurez compris: je crois en la magie de ces petites échoppes, mais d’autres l’expriment bien mieux que moi!

« Je tiens les bouquinistes pour les êtres les plus délicieux que l’on puisse rencontrer, et, sans doute, participent-ils avec élégance et discrétion à ce renom d’intelligence dont peut se glorifier Paris. »
Extrait tiré de « Le piéton de Paris », Léon-Paul Fargue, 1939



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